Chronique

L’effet leader dans les jeux coopératifs

Par Christelle - mis à jour le 1 février 2024
Pions de jeu de société

Il était une fois, lors d’une soirée jeu entre amis, un phénomène intrigant se produisit. Nous avions décidé de tenter notre chance avec Pandemic, un jeu coopératif où il faut sauver le monde de terribles épidémies. Autour de la table se trouvait notre ami qu’on appellera Alex, un vieux de la vieille des jeux de société, dont la stratégie et l’expérience étaient sans égal. Alors que la partie progressait, nous avons tous, peu à peu, commencé à suivre ses directives, presque sans nous en rendre compte. Alex était devenu notre leader non officiel, guidant nos actions et nos décisions. Ce soir-là, l’effet leader s’était manifesté de façon flagrante, et ce fut une révélation sur la dynamique de groupe dans les jeux coopératifs. À la fin, on en a plaisanté, se disant que finalement, Alex aurait joué solo, ça aurait eu exactement le même effet.

C’est ce qui m’a inspiré à plonger dans le concept fascinant d’effet leader, explorant des jeux où il est difficile d’y échapper, et d’autres où il est habilement minimisé grâce à un game design de qualité.

Restez avec moi, cet article est une aventure qui nous mène au cœur même de ce qui rend les jeux de société si captivants : l’interaction humaine.

C’est quoi l’effet leader, au juste ?

Imaginez une partie de jeu où un des joueurs, peut-être le plus expérimenté ou simplement celui avec une personnalité plus dominante, prend les rênes et dicte, de manière plus ou moins directe, les actions des autres joueurs. Dans le contexte des jeux coopératifs, où l’objectif est de travailler ensemble pour vaincre le jeu lui-même, un tel phénomène est particulièrement notable. D’un côté, un leader peut effectivement aider à coordonner les efforts et affiner les stratégies. Mais de l’autre, il peut involontairement éclipser les contributions des autres, diminuant leur sentiment d’implication et de contrôle sur le jeu.

Quand l’effet leader prend le dessus

Prenons l’exemple de Pandemic, un jeu emblématique du genre coopératif. Les joueurs y endossent les rôles de spécialistes combattant ensemble la propagation de maladies à travers le monde. Chaque joueur a des compétences uniques, mais il n’est pas rare qu’une personne prenne le dessus, orientant les décisions et les mouvements du groupe. Ce scénario, bien que parfois efficace pour gagner, peut altérer l’expérience collective, en mettant de côté l’essence même du jeu coopératif : l’égalité des contributions. En effet, quoi de plus frustrant que d’avoir l’impression de ne pas être maître de son destin ?

Des jeux qui tempèrent l’effet leader

À l’opposé, des jeux comme Hanabi et The Game montrent qu’il est possible de concevoir des expériences coopératives où l’effet leader est naturellement minimisé. Dans Hanabi, par exemple, les joueurs doivent créer des séquences de feux d’artifice sans voir leurs propres cartes, et les règles strictes sur la communication font qu’il est difficile pour un seul joueur de diriger tout le jeu. The Game va encore plus loin en demandant aux joueurs de se synchroniser sans parler, ce qui rend pratiquement impossible la domination par un seul leader. D’ailleurs, il n’est pas rare de voir ce “genre dominant” être lui-même très frustré de ne pas pouvoir orienter le jeu comme il le souhaite. C’est souvent rigolo à voir

Un bon game design, pour équilibrer l’effet leader

Comment les créateurs de jeux coopératifs s’y prennent-ils pour équilibrer cet effet leader ? Certaines stratégies incluent la limitation de la communication entre les joueurs, l’assignation de rôles ou de capacités uniques à chaque joueur, ou l’introduction d’éléments aléatoires qui empêchent une stratégie trop rigide. Par exemple, dans Gloomhaven ou Spirit Island, chaque joueur possède des compétences spécifiques cruciales pour la victoire, encourageant une participation plus équilibrée. D’autres jeux, comme Forbidden Desert, injectent une dose d’incertitude qui exige une adaptation constante, défiant ainsi toute tentative de leadership unilatéral.

Contrer subtilement l’effet leader en tant que joueur

Voilà qui demande tact et diplomatie, surtout quand on est sous la pression d’un jeu coop’ qui commence à partir en cacahuète (coucou les invasions de zombies dans Zombicide, ou Dead of Winter !). Si vous êtes devant un leader qui a du mal à lâcher prise, une petite astuce (qui a prouvé son efficacité) est d’encourager tous les joueurs à partager leurs idées et stratégies. Par exemple, au lieu de laisser une personne dicter les plans sur 4 tours, on pourrait demander : “Quelles sont nos options selon vous ?” ou “Comment chacun de nous peut y contribuer ?” Ça permettra de prendre un peu de recul sur ce qui est en train de se passer, et de valoriser l’opinion de chacun.
Une autre astuce pourrait être d’encourager les moments de réflexion individuelle : avant de prendre une décision importante dans le jeu, proposer un court moment pour que chacun réfléchisse à ses propres idées peut réduire l’influence dominante d’un leader potentiel. Cela permet à tous de se sentir plus impliqués et responsables des succès du groupe.
Enfin, reconnaître et valoriser les contributions de chacun renforce la confiance et l’estime de soi au sein du groupe. Un simple “Bonne idée !” ou “Je n’y avais pas pensé, intéressant !” peut faire des merveilles pour l’équilibre du leadership au sein d’une équipe. En adoptant ces pratiques, les joueurs peuvent non seulement contrer l’effet leader, mais aussi enrichir l’expérience de jeu, rendant chaque partie un peu plus inclusive et agréable pour tous.

Ce qu’on en retire…

Quand je repense à cette partie de Pandemic, je me rends compte que l’effet leader, bien que souvent vu comme un obstacle à une expérience de jeu équilibrée, révèlent surtout des aspects fascinants de notre comportement en groupe. Miroir de nos dynamiques sociales, il met en lumière à la fois nos tendances à suivre et notre capacité à guider, et permet de mettre le doigt sur les émotions ressenties (suis-je rassurée, ou au contraire frustrée, quand quelqu’un prend le lead ?). Et c’est peut-être là, dans ces moments de jeu partagé, que nous pouvons le mieux apprécier la richesse de nos interactions, tout en apprenant un peu plus sur nous-mêmes et sur les autres.
Christelle

Christelle

Co-fondatrice des Dragons Nains, j’aime tous les types de jeu, du moment que je passe un bon moment ! J'ai quand même un faible pour les jeux coop' ou semi coop' et les gros jeux de gestion (kubenbois pour les intimes).

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